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Léna, de retour de mission auprès de l'IRDS en Inde

Dernière mise à jour : 29 mars

Léna Lefebvre, bénévole volontaire chez Terre Des Hommes France, est repartie en Inde début 2024 dans un objectif double : faire le suivi de projet pour l’association Integrated Rural Development Society, et mener son enquête de terrain dans le cadre de ses études en géographie sociale. Découvrez son témoignage !


Le contexte environnemental et culturel en Inde lors de mon séjour


Je suis partie en Inde début janvier 2024 et y ai séjourné pendant l’hiver, juste après la saison des moussons. La majeure partie des indiens diront que c’est la meilleure saison pour partir, du fait des températures clémentes et du climat doux. Les membres de l’IRDS m’ont cependant tous fait observer les dommages sur les cultures du fait des fortes pluies qui s’étaient abattues la semaine précédant ma visite. Ces pluies intenses sont la conséquence directe du changement climatique, car en temps normal, la saison de la mousson se termine fin novembre, et ses épisodes intenses ne se produisent plus en janvier¹.


Les dégâts sur les cultures en janvier

Mon séjour a été marqué par les nombreux festivals qui ont eu lieu au cours du mois de janvier. On peut citer Pongal - le festival des récoltes au Tamil Nadu, qui se déroulait du 14 au 17 janvier. Les tamouls souhaitent, au cours de diverses festivités, remercier la nature pour ses récoltes abondantes. Le 14, lors du Bhogi Pongal, un puja (rite) est célébré et la récolte du paddy (riz non décortiqué) commence à cette période.


Les femmes du village de Pilrampattu cuisinent en l’honneur de leurs ancêtres

La cuisine au feu de bois dégageait énormément de fumée et donc de CO2. D’ailleurs, ce rituel a été interdit à Chennai et Delhi du fait de la pollution qu’il produit. Il semble cependant délicat de sensibiliser les communautés sur ces enjeux, du fait du caractère traditionnel, ritualisé et communautaire de leurs pratiques culturelles.


Je me suis également rendue à Manlurpettai pour assister au River Festival dont les festivités durent une journée complète. Ce festival a pour objectif de célébrer les liens entre la rivière et la vie quotidienne des villages, que ce soit pour l’usage de l’eau, pour l’agriculture, pour la pêche, etc. Pour Nicholas, le président de l’IRDS, l’association a un rôle central à jouer lors de ce festival : il est important de montrer aux jeunes les aspects positifs du festival, qui met à l’honneur la rivière et les ressources naturelles, mais aussi les côtés plus négatifs liés à la pollution plastique qu’il produit. Le côté commercial de la fête (vente de produits de tout type - nourriture, objets en plastiques, jouets), prend depuis quelques années le dessus sur le reste. Même si l’espace est nettoyé les jours qui suivent le festival, certains déchets peuvent être emportés par la rivière et causer des dommages dramatiques pour la faune et la flore environnantes. Il y a donc urgence à conscientiser les populations villageoises sur les impacts des festivités sur l’environnement.


La rivière de Pen Pennai et les villageois lors du festival de la rivière

La mission de suivi de projet


Pendant deux semaines, je me suis intéressé particulièrement aux activités et programmes proposés par l’IRDS, notamment sur les formations d’agroécologie et sur les plantes médicinales, la lutte active pour les terres Panchami². J’ai également participé aux programmes avec la jeunesse dalit sur la conscientisation des principaux enjeux dans leur villages (environnementaux, sociaux, politiques) et la participation aux réunions villageoises.

Les formations d’agroécologie permettent aux villageois d’apprendre à produire des fertilisants (qui sont faits, soit à base d’excréments, d’urine et de lait de vache ; soit à base de feuilles végétales). Ils les utilisent sur leurs terres pour fertiliser leurs cultures sans pesticides. Les formations sur les plantes médicinales, quant à elles, expriment une volonté de revenir aux traditions pour se soigner. Je me suis rendue au village de Melvalai et de Vakadarai Thazhanur dans le district de Villupuram pour comprendre l’apport de ces connaissances pour les bénéficiaires de ces formations.


A gauche, un fertilisant à base de matière fécale, urine et lait de vache utile pour la croissance des plantes ; à droite, un fertilisant à base de plantes, qui permet de tuer les insectes

J’ai également suivi les actions de lutte pour récupérer les terres Panchami, qui constituent un moyen de subsistance essentiel pour ces communautés, que ce soit pour les exploiter d’un point de vue agricole ou y construire des maisons. Pour réclamer les terres auprès du gouvernement, les femmes dalits signent des pétitions³, occupent les terres et organisent des manifestations. Pour mieux en comprendre les enjeux, je suis allée à la rencontre des Dalits du village de Sorayapattu dans le district de Villupuram, où 850 Dalits luttent depuis 20 ans pour les 37 acres de terres Panchami aux côtés d’autres villages. Je me suis également rendue dans le village d’Indhili et dans la colonie dalit de Kallakurichi (Karunapuram) dans le district de Kallakurichi qui ont chacun reçu une promesse de la part du gouvernement en décembre 2023, selon laquelle dans 3 mois, les terres leur seront données (après 15 ans de lutte). Cependant, il faut se méfier car, bien souvent, le gouvernement indien fait des promesses qu’il ne respecte pas. Ces exemples illustrent les difficultés et la patience dont doivent faire preuve les Dalits dans la lutte pour les terres Panchami.


Notice terres Panchami      Réunion des dalits luttant pour les terres Panchami 


Enfin, l’inclusion des jeunes dans les formations d’agroécologie, la mise en place de clubs pour enfants, la participation des jeunes dans les réunions villageoises sont autant d’exemples qui illustrent l’implication de l’IRDS auprès de la jeunesse dalit. Dans ce cadre, j’ai pu assister au déroulement d’un club pour enfants (cricket, danse, jeux, théâtre…) au village de Veerasozhopuram ainsi qu’à une journée (18/02/24) rassemblant plus de 50 jeunes pour leur présenter les programmes à venir (formations sur l'emploi, aides gouvernementales aux Dalits pour s'impliquer dans un projet; projet en lien avec les terres Panchami).



Club pour enfants au village de Veerazhopuram
Les jeunes filles bénéficiaires des programmes de l’IRDS

Etude de terrain


Lors de mon séjour à l’IRDS j’ai mené une enquête qualitative sur l’évaluation de la vulnérabilité sociale des Dalits face aux risques hydrauliques. Deux études de cas ont été menées en Inde rurale : les villages d’Emapper, sujet au risque inondation, et Melvalai, aux sécheresses, situés dans le district de Villupuram au Tamil Nadu, particulièrement vulnérable au changement climatique. Il s’agissait d’une part de comprendre la vulnérabilité socio-économique et environnementale des Dalits qui vivent dans les villages, et d’autre part celle de ceux qui choisissent d’en partir. L’idée était d’étudier la résilience des Dalits face au changement climatique. Deux discussions de groupe, vingt-et-un entretiens semi-directifs qualitatifs⁴, et deux ateliers de cartographie participative avec dix jeunes ont été organisés, qui ont été à l’origine de l’initiation d’un micro-projet à Melvalai qui ont ancré le travail dans une forme de « recherche/action »⁵.  


Le micro-projet s’est construit avec l’aide de l’organisation allemande Space2live⁶. Le but est de créer une pépinière d’arbres fruitiers, d’arbres fourragères et médicinales avec une clôture en barbelé et un étable pour une dizaine de vaches et quelques brebis. Les vaches permettront de produire plus de fertilisant naturel à base d'excréments et lait de vache pour faire perdurer l’agriculture biologique. Le projet a été étudié avec les enjeux de l’association et du projet sur la jeunesse dalit, puisque ce sont les enfants qui seront invités à arroser les arbres et plantes deux fois par semaine, en ramenant l’eau de l’étang situé à proximité. Ce projet espère voir le jour au cours de l’année 2024.


Échanges avec des villageoises dalits de Melvalai au centre de l’association Integrated Rural Development Society, à Alambadi

Les perspectives à venir


L’IRDS projette de mettre en place plusieurs projets pour inclure de plus en plus les jeunes par exemple sur le sujet des terres Panchami, la mise en place de scènes de théâtre de rue portées par les enfants, afin de les sensibiliser à ce sujet et montrer en quoi elles sont une part essentielle de leurs moyens de subsistance.

 

Concernant les actions militantes, une occupation pacifique des terres est prévue après les élections pour faire pression sur les politiques et continuer ainsi la lutte pour récupérer les terres Panchami.


On peut aussi évoquer un projet de résilience alimentaire dont l’enjeu est d’échanger les productions de différentes régions du Tamil Nadu (poissons proposés par les régions côtières, riz & légumes par les régions de plaines, épices par les régions forestières). Cela permettra de créer de l’emploi chez les jeunes, de créer un réseau de solidarité alimentaire, et d’éviter toute forme de perte économique induite par les lois du marché.


Cette expérience en Inde m’a donné l’envie de m’impliquer encore davantage à TDH France et de continuer à accompagner l’IRDS pour mener à bien les projets. Plus que jamais, nous devons défendre les droits environnementaux des jeunes dalits car s’imbriquent les enjeux sociaux liés à la caste et les menaces environnementales liées au changement climatique. Alors : agissons !


 

¹ Alors que la moyenne des précipitations entre 2008 et 2024 s'élève à 9,72mm de pluie en janvier, celle de 2024 atteint 122,04mm soit plus de 13 fois plus (données du District Collector de Villupuram de 2008 à 2024)


² Un nombre important d’hectares de terre distribués aux dalits par les dirigeants britanniques après la colonisation, entre 1892 et 1947, appelés les terres Panchami, ont été récupérées par les propriétaires des hautes castes hindoues ; l’enjeu est donc de réclamer une réattribution des terres qui leur sont dues.


³ Les hommes soutiennent les femmes signataires, mais ne signent pas les pétitions. Auparavant, ils avaient l’habitude de les signer également, mais une fois les terres reçues, ils avaient tendance à les revendre, et non pas à les garder pour la communauté. Les membres de l’IRDS ont donc décidé de donner à la femme l’ensemble du pouvoir contestataire pour récupérer les terres Panchami, qui elles, utiliseront les terres pour leurs besoins immédiat (construction de maisons, terres agricoles).


 Les entretiens semi-directifs qualitatifs sont des entretiens menés par le chercheur qui suit un questionnaire préparé en amont mais prend des libertés et s’adapte aux réponses de l’enquêté pour approfondir certains points.


⁵ Kurt Lewin, « Action Research and Minority Problems. », Resolving social conflicts and field theory in social science, American Psychological Association , 1946. La recherche-action est une méthodologie de recherche qui consiste en la l’identification des problèmes, et la proposition de solutions pour y répondre.


Space2live est une association allemande qui travaille sur des projets de cartographie participative et initie des projets de développement en lien avec le changement climatique.

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